Documents d'artistes Auvergne-Rhône-Alpes
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Installée en France voisine mais retournant régulièrement dans son Japon natal, Keiko Machida, comme beaucoup d'expatriés, vit entre deux mondes, nourrissant son présent de souvenirs et de nostalgies multiples qui la façonnent et peuplent son imaginaire. Le monde de l'enfance devient ainsi généreuse source d'inspiration ; mais c'est d'une enfance intériorisée et complexe qu'il s'agit, avec sa part d'ombre et de frayeurs, sa solitude, ses mirages et ses mystères... Dans une belle série de fusains, ses « dessins-parcs », elle visite les parcs de jeux qu'elle a connus, aujourd'hui déserts, terrains désolés enserrés d’immeubles, de végétation grimpante et de grillages; la force poignante du noir-blanc velouté du fusain intensifie l'impression d'abandon ; l'artiste écrit à ce propos : « En mêlant paysages réels et paysages imaginaires, je touche à la présence et à l'absence, dans cette interrogation autour de la réalité, de sa perception, de la mémoire et de la représentation ». Elle sait par ailleurs jouer de la fluidité de l'aquarelle pour évoquer des apparitions fantomatiques et légères, personnages oniriques et souvent fragmentaires, au bord de la dissolution...
Issue d'une pratique assidue et sensible de la peinture et du dessin, Keiko Machida s'est un jour tournée vers la céramique pour profiter des potentialités expressives du volume, tout en y exploitant la richesse picturale que permet le traitement des émaux. C'est ainsi que dans ses petites sculptures de porcelaine émaillée, l'artiste combine des formes ductiles modelées du bout des doigts, avec des émaux translucides, fluides et brillants, qui évoquent l'aquarelle, tandis que des pigments mats et charbonneux rappellent le fusain.
Dans la série de céramiques qu'elle intitule fort à propos Micro-narratives, de petites figurines à corps d'enfant et tête d'oiseau, de renard ou de raton-laveur, s'agenouillent ou se recroquevillent sur elles-mêmes ; la tête trop grosse, trop lourde de rêves étranges, en équilibre instable, peut se poser au sol ou s'échanger ; la précarité de l'installation et la fragilité du matériau évoquent la vulnérabilité des personnages. La maison de porcelaine blanche rappelle la forme archétypale d'un dessin d'enfant encore maladroit, avec son toit à deux pans, et ses murs aux contours tremblants. Mais sur ce volume simple et clair, l'artiste trace la silhouette insaisissable, noire et grise, de multiples branchages qui s'entrecroisent, comme si le paysage lui-même se reflétait sur le petit édifice sans porte ni fenêtres, donnant à voir toute la forêt environnante et ses jeux mobiles d’ombres et de lumière. Avec la petite maison perdue au fond de la forêt, comme avec l'ensemble de petits personnages hybrides, l'artiste convoque ainsi tout un environnement de contes à la fois familiers et étrangement inquiétants.
Anne-Belle Lecoultre Brejnik, 2013
101 Oeuvres / 101 Artworks, Fonds cantonal d'art contemporain Genève